Ma découverte du shibari est à la fois concordante et complètement parallèle à mon approche des milieux fétichistes et BDSM. Depuis 2011 environ, j’avais commencé à poser pour des photos, bien que je sois loin de pouvoir me prétendre modèle. C’est dans ce cadre que j’ai été contacté par celui qui est devenu, bien après, un ami et mon « rigger » principal. Nous avons construit ensemble un parcours dans cet univers et avons pu évoluer tous les deux au fil de notre apprentissage.
par Melainya
Ma découverte du Shibari
J’étais donc une jeune modèle photo et, alors que je commençais tout juste à faire mes premiers pas dans le monde du BDSM et j’ai reçu un message d’un photographe sur internet qui me propose de poser pour une session de shibari. J’avais vaguement entendu parler de cette pratique qui était encore assez marginale à l’époque et, plutôt curieuse de tout et avide de découvrir, me disant que c’était l’occasion de tester une nouvelle pratique, j’accepte.
Me voila donc partie pour un nouveau shooting, toutefois pas très rassurée : autant j’avais l’habitude de faire de nouvelles rencontres dans ce cadre, autant me retrouver attachée et suspendue par un parfait inconnu (dont j’avais tout de même attentivement regardé le travail et sur qui je m’étais renseignée) ne me mettait pas des plus à l’aise. En prenant quelques précautions, je décide toutefois d’aller au bout de l’expérience. Après quelques discussions je commence la séance avec quelqu’un qui s’avère rapidement fort sympathique et amusant.
Désirant réaliser jusqu’au bout et de la meilleure manière possible la séance, je me dis que je dois résister à la douleur/l’inconfort des cordes etc... De plus, je ne connais pas cet homme et la sensation est également très nouvelle, ce qui me laisse à la fois dans l’expectative et la maîtrise. Toutefois, au-delà du challenge qui me satisfait, je trouve les ressentis agréables et plaisants et nous prenons le temps de discuter longuement jusqu’à décider de nous revoir pour essayer davantage. Nous nous voyons quelque fois en dilettante, nous perdons de vu et renouons en 2016 quand je découvre la communauté qui a, à ce moment là, bien grandi.
C’est lors d’un événement underground où l’on me demande d’être modèle pour une performance avec un célèbre et charmant attacheur italien que je me remets plus sérieusement à cette discipline en rencontrant les membres d’associations lyonnaises : Je tombe des nues ! La discipline est donc devenue assez connue pour que l’on en monte des associations. Jouissant de ma petite notoriété suite à cette soirée, je deviens modèle pour de nombreux riggers venant d’un peu partout et, en l’espace de quelques années, je travaille avec beaucoup de grands noms français aussi bien qu’étrangers.
Ce que le shibari m'apporte : le lâcher-prise
C’est pendant cette période finalement assez courte que j’ai acquis la plupart de mon niveau, de mes connaissances et de mon expérience dans cet art. A ce moment là je me nourris beaucoup des différentes approches, techniques mais aussi orientations propres à chaque attacheur.
Jusque là, j’ai toujours été une « bonne modèle » que l’on considérait endurante et « belle » dans les cordes mais je n’avais que peu de ressentis, plus avec certains qu’avec d’autres d’ailleurs mais ce n’est qu’au fil du temps, en travaillant plus régulièrement avec des personnes de confiances que j’ai pu découvrir autre chose.
Je voyais pendant les autres performances, les cours ou les workshops des modèles vivre de fortes expériences, pleurer, se mettre dans tous leurs états pour une simple corde posée. N’ayant pas de relation intime ou amoureuses avec mes attacheurs, cela ne faisait pas sens pour moi jusqu’à ce que j’arrive à ouvrir la porte et que le déclic se fasse.
De manière générale, j’ai une personnalité dans le contrôle et j’aime être maîtresse de mon corps et de mon esprit, or pour profiter des cordes et de leurs effets, c’est tout l’inverse qu’il faut chercher à atteindre. C’est sans doute pour cela que j’en avais plus besoin que les autres et ce fut mon premier vrai apprentissage : accepter de s’en remettre à l’autre, accepter les décisions et risques qu’il prend pour les deux, sentir la corde contre soit et au lieu de lutter contre, accepter de l’embrasser et de s’y laisser aller.
Une expérience initiatique
Parfois c’est douloureux, parfois éprouvant, parfois humiliant mais c’est en accédant à ces émotions fortes, dans l’abandon de soit que j’ai découvert le subspace. Cet état n’est bien-sur pas propre au shibari, il s’agit de l’expérience que peuvent décrire de nombreux adeptes de pratiques « extrêmes », cette bulle hors du temps et de l’espace ou plus rien d’autre n’existe que l’instant, dans une sensation brute et la plénitude. Une état de conscience plus profond ou l’on découvre une autre part de soit.
Je me suis toujours demandé si c’était cela que l’on ressentait dans une situation de survie : l’on entre dans un état particulier en soit-même, hypnotique presque ou l’instinct prend le dessus. Dans une session très intense de cordes, il me semble que ce soit la même chose, il faut trouver des ressources intérieures quand on se sent acculée, sachant qu’il n’y a aucune issue, aucun moyen de s’en défaire et complètement à la merci de l’autre.
Ce que j’évoque ici peut sembler extrême à des non pratiquant.es mais il me faudra préciser alors que tous les styles de cordes n’amènent pas à cela, c’est simplement là où mon chemin personnel m’a guidé. Le temps passant, j’ai découvert que ce que j’aimais vivre s’inscrivait dans le style « Naka », c’est à dire une pratique plus traditionnelle et proche de l’art martial, qui à évolué progressivement en pratique érotique sous le nom de Kinbaku. Il y a une notion importante de tourment voir d’objectification où le modèle peut être aussi un prétexte à la corde, mise en scène pour les photos dans une esthétique japonisante.
Longtemps, avec l’ami et attacheur avec qui j’ai parcouru ce voyage, notre pratique est restée classique et photographique pour aller peu a peu vers des vraies sessions, de la sensation, du jeu psychologique et de la technique pour nous rendre compte de nos attentes allaient dans le même sens.
Un moment hors du temps
Aujourd’hui c’est presque un ancrage : la corde se pose sur ma peau et en moi quelque-chose se libère, immédiatement un sentiment de plénitude et d’abandon s’installe. Je suis quelque part, je navigue mentalement et j’en oublie les élèves si je suis en cours, ou le public pendant une performance. Ils ne sont, en un sens, que présent pour accompagner mon fantasme.
Chacun trouve bien-sûr son besoin et sa manière de le vivre. Personnellement, je ne ressens pas du tout la même chose dans une séance SM et dans les cordes : il y a une contrainte, une impossibilité de mouvement, une restriction de la respiration qui me fait réellement me sentir vulnérable et me permets d’ouvrir mon esprit et de me raconter une histoire pour traverser les épreuves, physiques et mentales de la session et donner du sens à ce que je vis.
Qui est l'auteure ?
Melainya est une artiste et performeuse française arpentant la scène lyonnaise mais aussi internationale. Elle débute dans les milieux artistiques par la photographie et explore de nombreux univers comme ceux du Shibari (bondage japonais), du fétichisme, du BDSM et de la culture gothique. Au fil des années, elle diversifie ses activités en explorant un monde plus en mouvement grâce à la performance et aux tournages pour des groupes de metal extrême. Habituée des scènes underground, elle présente régulièrement des shows, aussi bien dans des soirées techno, des événements privés que pour des festivals musicaux. Depuis deux ans, elle est également la co-organisatrice de soirées pour les fétichistes du latex dans sa ville de coeur.
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